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La culture sacrifiée

Retours sur les manifestations en Bretagne le 15 décembre 2020

Les annonces du Premier Ministre du 10 décembre 2020 ont provoqué un élan de colère et d'incompréhension dans toutes les professions du spectacle et du cinéma. L'appel à se mobiliser le mardi 15 décembre à 12 heures pétantes à fédéré plusieurs milliers de personnes dans toute la France. En Bretagne, les pancartes se dressent notamment à Brest, Quimper, Rennes, Lorient, Redon, Vannes, Guingamp, Plouguerneau...

Considérant les annonces du Premier Ministre le 10 décembre 2020,
Considérant que les lieux de cultes peuvent recevoir du public mais pas les lieux culturels,
Considérant que les personnels de la culture, les personnels administratifs sont en danger de burn-out,
Considérant que la pratique artistique à distance n'a pas de sens,
Considérant que les artistes et les techniciens ne peuvent plus vivre de leurs métiers,
Considérant que différentes organisations professionnelles appellent à se rassembler le 15 décembre,

Avec pancartes, banderoles, costumes, instruments, accessoires sonores, pour une petite mascarade, une queue leu leu, une cérémonie... les professionnel·le·s des arts de la rue se sont mobilisé·e·s pour revendiquer nos métiers comme essentiels, pour la réouverture des salles et de l'espace public, pour se serrer les coudes et faire face ensemble.

Quimper (29)

Une centaine de personnes se sont rassemblées devant le Théâtre de Cornouaille dans la joie et la bonne humeur, sur les notes d'un accordéon. De nombreuses compagnies sont présentes, des artistes, des technicien·ne·s, des sympathisant·e·s, des membres du SBAM-CGT ainsi que des structures de diffusion comme Très Tôt Théâtre et le Théâtre de Cornouaille. Après des prises de paroles sur France Bleu Breizh Izel, radio publique dont les locaux jouxtent la place, le rendez-vous est lancé pour une prochaine manifestation inter-syndicale le 15 janvier 2021.

Brest (29) : « Priez Sainte-Roselyne ! »

400 personnes selon l'organisation, 200 selon la presse. Sur le parvis du Quartz et de la Cinémathèque de Bretagne, les professionnel·le·s du secteur culture se sont massé·e·s pour dénoncer la politique du « yoyo » et pour exprimer leur colère face à des décisions prises sans concertation et avec le sentiment d'un manque de considération flagrant. « Non-essentiel », la tournure reste amère. Des slogans rappellent que nous sommes certes masqué·e·s mais pas muselé·e·s. Les prises de paroles ont invité à prier « Sainte Roselyne », référence à l'actuelle ministre de la culture. Toutes rappellent la réalité et la grande souffrance du secteur culturel, largement à l'arrêt depuis mars 2020.

Redon (35) : « Quoi qu'a dit Mame Bachelot? »

Plus de 250 personnes se sont retrouvées devant la sous-Préfecture ce mardi 15 décembre. Quelques pancartes hérissent la foule manifestive, la bonne humeur règne en musique malgré l'expression d'une frustration entière. Quelques prises de paroles recadrent le contexte général de mobilisation et invitent à une déambulation sonore dans le centre-ville pour faire escale devant des lieux symboliques de la vie culturelle locale : le Canal-Théâtre, la Médiathèque, le Cinémanivel. A chaque station, des portes-paroles apportent un éclairage particulier sur ce que traversent les professionnel·le·s de la culture : le SBAM-CGT, la Fédé Breizh, la Collective 6543..., le Groupement Culturel Breton des Pays de Vilaine, le Cinémanivel.

Video

Rennes (35) : 300 personnes devant l'Arvor

Le cinéma a allumé son enseigne pour afficher sa présence. Devant ses portes se sont rassemblées 300 personnes environ, pancartes tout azimut. La foule est dense dans les rues du centre ville rennais à l'approche des fêtes de fin d'année. L'incompréhension reste entière quant aux décisions relatives à la non-réouverture des lieux de culture toutes disciplines confondues.

Plouguerneau (29) : Hep Kultur No Futur

Mardi 15 décembre 2020 à 11h59, manifestation historique à Plouguerneau.
Gigot Bitume en micro-trottoir.

« Hier matin 11h59 1ère manif à Plouguerneau (6732 habitants).
En arrivant j’ai eu un coup de flip : je vois un énorme tracteur avec une benne de lisier se garer devant la Mairie. Je me dis merde j’espère que c’est pas la convergence des luttes avec la FNSEA locale. Les boules, la manifs n’est pas déclarée. Et puis en fait c’était un agriculteur qui venait déposer un collisimo à la poste.

Les gens sont arrivés, j’ai reconnu Goulven, Christine, Yann-Edern, Frédéric, Sydney, Laura et Carmen, Le Maire Yannig Robin, Mariem, Egareg, Tanguy, Typhaine, Marie, Jean-Louis, Marion, Asia et Marcel, Daniel, Joëlle, Hélène, et d’autres personnes dont je ne connais pas encore les prénoms. Selon nos policiers municipaux, nous étions 40, c’est historique, le comptage de la police était plus important que le nôtre (37).
Il y avait aussi Jean-Pierre du Télégramme.
Fallait voir nos policiers, fiers comme des paons, à faire la circulation. Leurs gestes étaient amples et lisibles pour signifier aux automobilistes que la rue de la Mairie était interdite grâce, plutôt à cause de nous.

On s’est retrouvé devant la Mairie donc, en contre-jour, pour la photo c’était beauf, il faisait grand soleil, après une grosse averse, le bitume brillait de mille éclats. J’avais pensé la veille au soir et même au petit déjeuner que j’allais faire un grand discours, un truc à la Jean-Michel Le Boulanger ou Alexis Gouvernec, le truc qui te donne le frisson et l’envie d’apprendre le Breton et la gavotte à Poullaouen et de monter un syndicat agricole dans la foulée. Un grand discours donc, et puis en fait rien. Comme d’habitude je me suis laissé envahir par la gestion de l’événement, la sono, la batterie, les micros, le costume la pancarte (fabrication + peinture). J’ai hésite entre humour et poésie et finalement j’ai tenté le deux. Côté face « QUI A PEUR DE LA LIBERTE », côté pile « Jane Birkin avec nous » (elle a une maison secondaire à Lannilis, le bled à côté).

Donc j’ai improvisé un truc histoire de briser la glace. Plutôt grande guignolade.

Au départ j’ai un peu rouspété : j’ai dû m’absenter, avant de partir j’avais proposé de bouger la sono devant la Mairie, et quand je suis revenu le groupe de manifestants était toujours sur le parking, coincé entre une Xantia grise et un camion Nissan. Pour une première manif à Plouguerneau je trouvais que ça manquait de panache.

Puis Marie a présenté son panneau en contreplaqué (peint à la main la veille au soir) avec son amoureux de toujours Jean-Louis. Panneau sur lequel elle nous a invité à y inscrire « nos première nécessités ».
Bon le truc n’a pas trop pris. Ce n’est pas grave. On a voté à main levée pour le mettre devant l’Office du Tourisme. Le Maire a validé de la tête. Faudra que j’appelle les services tech pour trouver une solution pour le fixer, c’est du  contreplaqué 12 mm et il fait 130 cm par 140 cm. Un coup de vent à Noël et nos premières nécessités voleront dans la Grand rue.

C’était cocasse de se faire escorter par la police municipale alors que la manif n’était pas déclarée. C’est pas faute d’en avoir débattu avec Yann-Edern, mais au final lorsqu’on a pris la décision de la déclarer (dimanche matin) c’était trop tard.

Sydney a parlé, comme Mariem, Marie.

Il y a aussi un jeune gars qui nous a bien fait monter les larmes. Il a pris le micro. Il était envahi par un mélange de rage, de tristesse et de colère sourde. Il était ému. Il a fait un truc court mais très fort. Il est ambulancier et sera en arrêt dans 2 jours, pas à cause du covid mais le jeune homme avait besoin d’être là et de parler. J’ai cru comprendre que c’était tendu avec son patron.

Puis on a marché sur le parking d’Intermarché. Il ne s’est rien passé.

On a traversé la grand’ rue, on s’est arrêté devant « les Mouettes » et « le Rally bar », Roseline et Nadia, les patronnes respectives, ont parlé de ce que les spectacles de cet été ont apporté à leurs commerces qui sont un peu devenus des succursales de spectacle.

A ce moment là on a bloqué 3 voitures. Aucune n’a klaxonné. C’est à ce moment là que j’ai passé la chanson Essentiel de Grand corps malade, puis Staying Alive des Bee gees.
On est passé devant le crédit Agricole. Personne n’a hué et je pensais qu’on aurait bien bloqué la circulation. En fait il était 12h45 et il n’y avait aucune voiture, c’était fluide.
On a filé vers la médiathèque, puis on a terminé devant l’Armorica, la salle de spectacle locale.

Plusieurs prises de paroles ont ponctué le point final de manif. Elen a proposé de créer une monnaie locale. Marie a proposé de faire plus souvent du « chapeau » pour les artistes, les précaires, les gens en difficulté. J’ai fait un discours final qui n’avait de final que le nom.

On a conclu de se revoir et refaire un truc en janvier, à Lannilis, peut-être devant un collège à la sortie des élèves à 16h30 et des parents qui les attendent dans les voitures. Il y a le prof d’arts plastique du collège qui a parlé aussi de la situation des artistes plasticiens pour qui c’est la misère encore plus que d’habitude. Maryvonne a parlé aussi.

Au final, aucune dégradation, aucune lecture de textes, des rencontres, une déambulation, pas de musique, à si quelqu’un jouait du tambourin, mal, mais jouait du tambourin quand même. Au moment du départ j’ai mis la Bamba, j’avais pas osé la mettre plus tôt dans le défilé, je trouvais ça limite. En remontant vers le parking de la Mairie je me suis fait un petit kiff en mettant à fond des chansons pour enfants : l’Araignée Gypsie et petit Escargot (porte sur son dos sa maisonnette…)

Voilà c’était une première manif locale quoi.

En revenant à la maison j’ai ouvert mon ordi et je ne sais plus comment je suis tombé sur un post de Jacques Livchine dans lequel il dit qu’il ne pense pas que le théâtre soit essentiel. Son discours allait à l’encontre de mon grand petit discours improvisé devant la Mairie. En y réfléchissant je pense que ma pensée est plus proche de celle de Jacques que de mes propos improvisée. On peut vivre sans le théâtre, la plupart des membres de ma famille y arrive très bien. C’est juste qu’une vie avec la culture c’est juste mieux. »

Lorient (56) : Sans vous, sans voix.

L'Association des Centres Dramatiques Nationaux s'est associée en décembre à la préparation d'un recours en référé auprès du Conseil Constitutionnel pour permettre la réouverture immédiate des lieux culturels. Le Théâtre de Lorient s'est évidement rallié à cette démarche en appelant à manifester devant son parvis.